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Témoignage de Samia

Propos recueillis par Camille Marchaut (1999)

mardi 22 mars 2011]

Samia est la fille d’un manifestant du 17 octobre 1961. Elle est l’un des membres fondateurs de l’association « Au nom de la mémoire ».

- Pouvez-vous me parler de votre père ?

 Mon père est arrivé en France en 1941, il était un jeune algérien en France et travaillait pour retourner au pays ensuite. C’est l’aspect immigration économique. Et l’histoire a fait qu’on est toujours là, ça c’est autre chose. Mais dans les années 60, en pleine guerre de libération, dès 54, il fait parti de la Fédération de France du F.L.N., qui est en fait une antenne des Algériens en France qui combat pour l’indépendance de l’ Algérie. Comme toutes les manifestations se préparent dans les années 59, 60 ou plutôt toute la mobilisation se prépare avant 61 sur la volonté que l’indépendance soit gagnée, les Algériens se mobilisent ici. On habitait dans la région parisienne à Levallois Perret, et on y habite toujours, et lui a des responsabilités locales dans cette Fédération de France du F.L.N. Il est chargé de collecter l’argent pour faire fonctionner cette Fédération régionale dans les Hauts-de-Seine. Quand la manifestation du 17 octobre 61 se prépare quelques jours avant, manifestation pacifiste pour dénoncer le couvre-feu que leur Papon impose aux Algériens, il fait partie de ces hommes qui vont organiser la manifestation pour aller sur les Boulevards parisiens. Donc, il y avait lui qui était sur le Pont Levallois, et d’autres Algériens qui étaient au Pont de Clichy, de Courbevoie… et tous ces gens se retrouvaient ensuite pour partir tous ensemble aux manifestations sur les Boulevards parisiens. Alors de cette histoire et de cette mémoire là, moi j’en ai beaucoup écho, régulièrement. Mon père est donc militant, était donc militant de la cause de l’indépendance en Algérie. Et moi j’ai grandi avec cette mémoire collective, enfin qui m’était personnelle, mais cette mémoire collective du combat des Algériens. Je me souviens, moi je suis l’avant-dernière d’une famille de sept enfants, et mes frères aînés, ma sœur aînée ont manifesté le 17 octobre. Ma soeur aînée s’en souvient parfaitement, mon frère aîné aussi.

- Et vous ?

 Non, moi j’étais trop petite, j’avais sept ans, je n’ai aucun souvenir de ça. Le souvenir que j’ai, c’est quand, adolescente, je commençais à être militante…( le téléphone sonne, elle répond, puis reprend). Donc je commençais à être militante, et mon père était toujours militant, pour autre chose d’ailleurs… dans son travail, c’était un ouvrier dans une usine automobile qui se battait contre les inégalités, les injustices abusives, vieux militant cégétiste…Et il nous avait raconté. Il nous a raconté l’histoire de notre pays, il passait son temps à nous dire que quand on aurait fini nos études, on repartirait au pays, reconstruire l’Algérie, etc. Donc, j’ai baigné dans ce mythe du retour comme l’est l’immigration en générale. Et à chaque octobre, il nous rappelait qu’il avait manifesté à Paris avec tous les autres Algériens, hommes et femmes, que notre mère, qui est aujourd’hui décédée, manifestait aussi. Et il nous rappelait aussi qu’elle était enceinte de mon petit frère et qu’elle avait manifesté comme tous les autres algériens contre ce couvre-feu. Quand j’étais militante, je me suis attachée à l’histoire de mon pays, enfin le pays de mes parents parce que moi je suis née ici, j’ai beaucoup réfléchi sur cette mémoire de nos parents. Je suis très attachée à cette idée que nos parents immigrés, qui ont quitté un pays, quand ils sont ailleurs, on a à porter, en tous cas, leur histoire, moi je suis très attachée à ça. Par exemple, je me souviens que les dissertations libres que j’avais au lycée, c’était la manifestation du 17 octobre 1961, c’étaient les bidonvilles de mon père, c’étaient des préoccupations comme ça, liées à l’immigration qui me touchaient beaucoup. Et puis c’était tout nouveau ! Moi j’ai 42 ans, il faut faire le calcul… Quand j’étais en quatrième, troisième, faire une dissertation sur le 17 octobre 1961, c’était quelque chose…même la prof d’histoire était étonnée. Tout le monde me parlait de Charonne. C’était une autre manifestation qui a été portée par des Français pour soutenir l’Algérie indépendante. Mais c’était pas la même histoire. Elle avait était violente et mobilisatrice, il y avait eu 7 ou 8 morts. Et pour moi, cette manifestation violente et d’Algériens tués et jetés dans la Seine, personne n’en parlait. Je veux dire…on en croyait pas nos yeux, c’était ça. Nous on savait que ça existait, mais quand on en parlait à l’extérieur, autour de nous, on nous prenait…on trouvait ça bizarre qu’on raconte cette histoire.

- Quelle était la réaction des gens autour de vous ?

 Autour de moi, personne n’en parlait. Après, j’ai grandi, le temps a passé, et je me suis attachée à cette période. J’ai commencé à travailler, avec d’autres amis, sur cette mémoire du 17 octobre 61. Par exemple, on est à Beur F.M., moi je suis une des fondatrices de la radio qui est née en 81, donc ça fait un paquet de temps maintenant qu’on émet. Et chaque 17 octobre à la radio, on se fait l’écho de cette manifestation des Algériens à Paris. Et avec tout ce que cela a de poignant. Je me souviens dans les premières années par exemple, on avait des témoignages d’Algériens auditeurs qui se rappelaient encore comme hier, comme ils le disaient, de la manifestation à Paris, des femmes, des enfants, de s’être endimanchés pour aller manifester dignement à Paris contre le couvre-feu. Toute cette mémoire collective, là où je suis, bon…autant faire ce peu. Individuellement, j’y suis attachée, mais dans les espaces collectifs où je suis, comme à la radio ou dans une autre association berbère où j’ai mes activités, on a un journal, et chaque numéro d’octobre, avec toute son évolution…on y reviendra justement sur le fait que, est-ce qu’on l’a connu il y a trente ans ? Et puis…cela a été très étouffé dans le milieu algérien militant, il y a trente ans. Il se trouve qu’aujourd’hui elle est au grand jour avec ce que l’on sait de l’histoire du procès de Papon, et du travail d’historiens ou de chercheurs.

- Donc, y a-t-il un devoir de mémoire pour vous ?

 Oui. Pour moi, il y a un devoir de mémoire, sur cette question là, parce qu’en plus de cela, elle est douloureuse, mais il y a d’autres préoccupations plus positives dans l’immigration en France. Mais cette période de l’histoire est importante. Là j’ai vu « Vivre au Paradis », donc au cinéma, on parle du 17 octobre 61. J’ai vu un film d’un jeune Beur qui s’appelle « Un, deux, trois Cités », il raconte aussi, c’est un gars qui a trente ans, et qui raconte parce que c’est, ou dans l’air du temps, ou en tous cas maintenant, ça se sait. Cela se sait qu’il y a eu cette manifestation d’Algériens à Paris, il est important d’en parler, et on commence à en parler. Bon, les manuels d’histoire n’en parlent pas, c’est dommage. C’est un raté pour l’histoire de France. « 

  Cela fait partie de l’histoire de France pour vous ?

 Oui, je pense…enfin j’en suis même persuadée. C’est une page de l’histoire qu’on ne veut pas écrire, qu’on veut oublier, dont on a honte…enfin il y a tout un tas de qualificatifs pour rappeler que les Français sont loin de vouloir se rappeler cette période de l’histoire, enfin ça nous le confirme. Il y a d’autres périodes de l’histoire qu’ils veulent oublier… enfin ils ont raison (rires).

- Comment vous sentez-vous justement face à cette occultation ?

 Je ne peux que la dénoncer. Mais une fois qu’on a dit ça…c’est après le temps qui… Quand on aura décider d’ouvrir les archives pour avoir la vérification et cette comptabilité des morts jetés dans la Seine par la police de Papon, on pourra enfin dire : voilà, les chiffres sont là. Les mains courantes dans les commissariats, dans les hôpitaux où on a vu des décès au lendemain du 17 octobre déclarés, on y peut rien. Qu’on arrête de dire il y en avait 8 ou 15 quand on sait qu’il y a 150 déclarations de gens qui sont morts des suites de coups et blessures au lendemain du 17 octobre, c’est pas un hasard. Cela ne peut pas être que des règlements de compte comme l’on dit d’autres sources du côté, et de la police, et de Papon. Il y a ce devoir de mémoire de la communauté algérienne, de ce que je représente autant que je puisse être représentative. Dans le travail qu’a fait « Au nom de la mémoire », qui a une certaine assise maintenant, tous les ans, on donne rendez-vous à cette clarification du 17 octobre 1961. On invite des historiens, des journalistes, des gens qui se penchent sur cette question de l’Algérie. On a fait des colloques dans des milieux associatifs, universitaires, à la Sorbonne, à la mutualité, dans des associations de quartiers, comme quand on a fait une journée sur l’Algérie à Levallois l’année dernière. On va publier un livre, on a fait des recherches iconographiques de cette histoire. Chaque fois, il y a des données nouvelles de cette commémoration, pas au sens nostalgique du terme, au sens vérité, devoir de mémoire effectivement. Parce qu’à un moment donné, il faudra arrêter de dire…Papon, à Bordeaux, il dit qu’il y en a 8, l’année d’après : non, c’est un peu plus…Il faut être dans le sérieux ! Et le sérieux, c’est aussi la responsabilité de la France de la porter : dans des ouvertures d’archives, dans la reconnaissance de ce fait, quand ce sera dans les manuels d’histoire…

- Et quand Papon sera reconnu coupable ?

 Quand Papon sera reconnu coupable, ça c’est l’engagement que prend la communauté algérienne, et les gens proches du combat de l’Algérie indépendante à l’époque et de cette date. Je pense qu’il y a la responsabilité de Papon lui-même, en tant que représentant de la police de l’État, même s’il répondait aux ordres du Président, de De Gaulle. Il se donne une virginité en disant qu’il est gaulliste et que De Gaulle voulait après l’indépendance de l’Algérie. Mais avant d’en arriver là, il a été la répression policière qu’on lui attribuait.

- Vous parlez de la responsabilité de la France. Y a-t-il une responsabilité du côté du F.L.N. ?

 Bah, la responsabilité du côté du F.L.N., non…Il y a d’autres moments où je pourrais qualifier le F.L.N. d’avoir été très radical, oui…mais dans cette manifestation, c’était pas la volonté heu…le F.L.N. portait un rassemblement digne et pacifiste des Algériens à Paris. Il n’y a pas de responsabilité de ce point de vu là. On verra qu’il y en a d’autres dans des tiraillements à terme, mais ça c’est dans d’autres périodes de la guerre d’Algérie, dans la guerre de Libération, mais ce n’était pas dans cette manifestation là, un peu plus tard, il y en a eu.

- Car on dit que le 17 octobre vient ponctuer une tension…

 Non, pas du tout. La tension était terminée depuis longtemps, Einaudi le dit très bien. Dans son film, il montre bien que les conflits internes au F.L.N. étaient arrêtés depuis 1959. Après dans les années 60, ça s’est stabilisé, il y a eu une unité de force des Algériens en France pour se battre, pour gagner l’indépendance du pays.

- Oui, mais ce que je voudrais savoir, c’est, à votre avis, est-ce que les bombes posées à Paris par le F.L.N., etc. ont pu avoir une quelconque origine dans la violence policière ?

 Oui, c’est plus ce que vous me demandiez il y a un instant par rapport au F.L.N. Que la police de Papon, la police française réprime les Algériens qui manifestaient à Paris contre le couvre-feu, c’est effectivement une riposte aux bombes. Mais bon, c’est hélas le jeu de la guerre. Donc s’il y a une violence des Algériens à Paris qui placent des bombes, c’est aussi qu’il y a la violence, il y a une tuerie de l’autre côté, c’est une riposte. C’est une guerre de libération avec tout ce que cela a de…je veux dire que ce n’est plus la même chose que de s’interroger sur les problèmes internes des Algériens, leur salade…interne conflictuelle de pouvoir, de leader politique dans l’immigration. Parce qu’il y a eu ça, effectivement, des vengeances, comme on disait : des générations sacrifiées. Il fallait suivre telle personnalité historique et pas l’autre, même si elles avaient le même combat qui était celui contre la colonisation, pour gagner l’indépendance…On était dans des guerres de personnes, guerres avec ce que ça a de violent.

- Comment vivez-vous cette situation où, d’une part vous luttez pour la reconnaissance de l’histoire de votre père impliqué dans un combat de Libération nationale, et d’autre part de vivre finalement en France et d’être citoyenne française ?

 Ah moi, je ne suis pas citoyenne française…non, j’ai toujours gardé la nationalité algérienne en France. J’y suis née, et quand il a fallu heu…enfin c’est pas grave, ça ne sera pas diffusé…j’en parle en psychanalyse, mais ça c’est autre chose…Moi j’ai un rapport à la nationalité algérienne qui m’est très personnel, et très affectif. Mais en même temps je reste persuadée que l’on peut être citoyen du monde. Donc, moi je dis qu’être née en France, y vivre, y payer des impôts, y avoir des droits et des devoirs devraient me donner, m’autoriser à avoir une participation politique de la vie de ce pays, c’est à dire, avoir le droit de vote, etc. Bon, l’État français a décidé autrement. Il y a des pays européens qui sont un peu plus intelligents et qui pensent que les étrangers peuvent voter. Mon appartenance à une identité…si je devais être française, c’est que pour…confirmer effectivement que je m’intéresse à la vie politique française et que je veux voter. Mais si la société française ne veut pas entendre l’Algérien dire qu’il veut pouvoir voter, j’ai décidé de ne pas être française dans ce pays. Pour des tas de raisons : des raisons historiques justement, des raisons culturelles parce qu’il n’y a pas de raison d’être français quand on est pas tout à fait français. Et puis une appartenance…moi je serais plutôt très universelle, donc appartenir à un pays… être française demain quand je parle couramment le kabyle et quand je suis attachée à des valeurs maghrébines, et des valeurs berbères pour être plus précise, je ne veux pas du tout m’approprier la notion de française, mais la notion de citoyenne algérienne, oui, en France, oui. Mais là c’est un autre débat. C’est pour ça que je suis très attachée à promouvoir ou à défendre l’identité de l’immigration en France. Pour moi, les espagnols, les portugais, les africains maliens, sénégalais aujourd’hui qui sont l’histoire de ce pays, ne seront jamais des français demain. On ne peut pas être des français parce que d’abord, la France, elle est plurielle, elle se construit avec nous. On ne peut pas demander à quatre millions d’étrangers d’être français, si ce n’est au sens citoyen. Là c’est autre chose, on est d’accord ou pas. Mais culturellement on ne l’est pas et la France s’enrichit de ça. Quand elle ne veut pas les reconnaître, elle devient intolérante et raciste. Mais quand elle les accepte, ça fait partie, à l’aube de l’an 2000, d’une réalité de ce pays. C’est pour ça que dans mon fonctionnement, moi je suis toujours attachée à… pas au sens militant avec un poing en l’air, mais à promouvoir cette culture de l’autre. Je ne fais pas que la promotion de la culture maghrébine, il se trouve que je suis attachée à celle-là, parce que c’est mon histoire. Je travaille beaucoup avec une association turque en ce moment, sur l’appartenance des jeunes filles turques à leur pays d’origine, à n’être pas très bien intégrées en France car c’est une réalité. Quand on sait tout ce qu’il se passe sur l’affaire du foulard. Quand on dit qu’une jeune fille dans un lycée avec un foulard, c’est une maghrébine, pas du tout, c’est une turque, et la Turquie, c’est l’Europe. Il a tout un tas de travail à mener sur ces identités.

- Justement, pourquoi, à votre avis, fait-on des amalgames si rapidement ?

 Parce que la France n’a pas encore réglé son histoire avec l’Algérie. Parce que les propos racistes : « Les Arabes, il y en a trop », « Les algériens, ils ont voulu leur indépendance, maintenant ils se tuent entre eux », j’ai entendu ça il y a huit jours dans un autobus. Je ne sais pas pourquoi il a dit ça, mais en tous cas son propos raciste, il a été lié à l’histoire. Et ça c’est pas réglé. J’ai vu Benjamin Stora hier, il le dit aussi, ça prendra du temps dans les têtes, et des deux côtés. Comme il a fallu du temps avec l’Allemagne. Et puis avec la situation actuelle de l’Algérie, c’est encore plus compliqué…Et ce devoir de mémoire, il est porté de dire les choses. Quand les choses sont cachées, enfouies, on avance pas beaucoup.

- Vous retournez souvent en Algérie ?

 Oui, là je pars dimanche, j’y vais pour les élections, journalistiquement. Mais j’y vais aussi parce que j’ai besoin d’y aller. Quand il n’y avait pas ce qu’on sait de l’Algérie ces dernières années, j’y allais trois à quatre fois par an. On y allait avec des copains français, mes frères et mes sœurs, on a une maison en Kabylie au bord de la plage. Et je pense que beaucoup d’Algériens de l’immigration sont attachés à leur pays, avec tout ce que ça a de douloureux et d’heureux aussi. J’ai travaillé pendant deux, trois ans avec la communauté portugaise, c’est pareil… « les portugais, ils sont bien intégrés »…Il y a plus de 800 associations portugaises dans ce pays, alors si l’intégration passe par la volonté de se regrouper en association ! C’est bien l’inverse de l’intégration la communauté portugaise… Elle est plus discrète au sens culturel et religion, et elle est moins visible on dit, mais en réalité…on va au marché de Champigny-sur-Marne, il n’y que des étales portugais, et au marché d’Argenteuil, il n’y a que des étales arabes. Mais ça c’est aussi la dimension géo-culturelle de l’immigration. - Et historique ? - Et historique aussi. Il n’y a pas le passé colonial. Et c’est dû aussi à l’histoire religieuse. On a beaucoup d’inquiétudes…de réticences par rapport aux religions. Un maghrébin, de plus en France, pour le raciste, c’est un immigré, un musulman, c’est un envahissement. Le Portugais, c’est pas ça, il n’est pas français, il a un accent, c’est l’Europe. Mais le Portugais, il est portugais en France. Même si le Français, il est persuadé qu’il ne lui en veut pas, en réalité, il y a un repli communautaire dans la communauté portugaise. Mais sur cette histoire collective ou de date comme celle du 17 octobre, il y a d’autres moments de l’histoire qui sont importantes. Comme la mémoire ouvrière de l’immigration, la mémoire urbaine de l’immigration, les Cités, les quartiers, la banlieue… Quand dans 20 ans, on dira qu’à Mantes La Jolie, il y avait 27 communautés qui cohabitaient, moi j’évoquerais la situation conflictuelle, mais aussi la situation positive que cela a apportée, et puis j’aurais oublié le 17 octobre (rires). C’est fondamentalement la mémoire qui m’intéresse : la mémoire collective, dans le temps, sur des événements culturels… Avec « Au nom de la mémoire », on va commencer à travailler sur la période de 80 à nos jours, qu’est-ce qui a bougé dans l’immigration dans un gouvernement de gauche avec ses contradictions, ses hésitations, les acquis, les reculs, comment la société française parle de l’immigration avec ses mots : les « immigrés », les « étrangers », les « sans-papiers », tout ça… Qu’est-ce que ça veut dire ? Il y a des hommes et des femmes dans ce pays qu’on ose appeler des « sans-papiers » au pays des droits de l’Homme.

- A propos de l’association « Au nom de la mémoire », y a-t-il des précédents ?

 Non, il y a une autre association qui travaille sur la mémoire de l’immigration, c’est « Générique », mais c’est un travail différent. Nous c’est plus historique, sur l’histoire, je ne suis pas historienne, mais on fait travailler des historiens sur l’histoire de l’immigration en France. Toutes les communautés sont retracées et pour chacune d’entre elles, on fait appel à des spécialistes, des historiens.

- En quelle année l’association « Au nom de la mémoire » a-t-elle était créée ?

 En 1990. Elle a été créée par trois personnes au départ : Medhi Lallaoui, Benjamin Stora et moi. Avant, je faisait déjà des émissions à la radio sur l’histoire de l’immigration en France, j’interviewais des auditeurs, etc. Comme je travaille dans l’édition, j’ai voulu transcrire tous ces interviews et les proposer chez l’éditeur chez lequel je travaillais : les éditions Syros. C’était pour faire un portrait des immigrés en France. Avec « Au nom de la mémoire », on avait le projet de faire un film, donc tout était mêlé. Le premier travail que l’on a fait, c’est le livre sur le 17 octobre 1961. Medhi a travaillé sur l’image avec Arte. Il y a eu un premier triptyque : un film, une expo et un livre. Après on a continué à fonctionner comme ça : produire, filmer, laisser des traces sur la mémoire collective de l’immigration. Après on a fait un livre sur la banlieue, puis sur l’histoire de l’immigration en France en trois tommes. Donc, l’association a été créée pour laisser des traces sur l’immigration : collective, urbaine… sur les immigrations, avec au début les sensibilités des trois créateurs, ce qui a d’ailleurs été difficile, car passionnel, pour parler du 17 octobre.

- L’association a été créée pour commémorer le 17 octobre ?

 Il se trouve que c’était ça au départ, moi j’avais des témoignages de la radio que je voulais transcrire. On savait que ça allait être un démarrage, on avait d’autres projets… Là, on va faire un livre autour des traditions orales, ce qui reste de l’oralité dans l’immigration. Samia est la fille d’un manifestant du 17 octobre 1961. Elle a 42 ans et travaille dans l’édition. C’est l’une des fondatrices de l’association « Au nom de la mémoire ».